Bilan des accidents mortels au Québec
Reportage de Karolane Landry, Prévention au travail
Depuis le 1er mars 2016, une vingtaine de personnes ont perdu la vie en exerçant leur métier. Bien qu’une amélioration est observée depuis le début de l’année, les statistiques sont encore difficiles à regarder.
« Il n’y a absolument rien qui justifie le fait de mourir au travail. N’hésitez pas à déclarer les situations dangereuses pour que vous, votre employeur et le milieu puissiez éviter le danger », mentionne Pierre Privé, coordonnateur aux enquêtes à la CNESST.
« Depuis le début de l’année, il y a de nombreux accidents mortels dans les milieux de travail. Chaque accident nous ébranle, on ne s’y habitue pas », explique Pierre Privé. Il faut rester vigilant, puisque les accidents surviennent dans différents milieux de travail, petits et grands. Pour y voir clair, jetons un bref coup d’oeil aux circonstances entourant les accidents mortels survenus depuis le début du mois de mars 2016…
Le 1er mars 2016, à Lévis, un homme de 52 ans grimpe sur une remorque de transport en vrac afin de procéder à un déchargement de grains. Il fait une chute qui lui coûte la vie.
Le lendemain, le 2 mars 2016, un manutentionnaire et conducteur de pelle hydraulique décède. Ce dernier s’affairait à placer et à aligner des tuyaux d’acier sur la remorque d’un fardier. Il se déplaçait sur le dernier niveau du chargement de tuyaux lorsqu’il a fait une chute 3,56 mètres avant de tomber tête première sur le sol recouvert de glace.
Le 7 mars 2016, en Mauricie, un homme utilise une laveuse à essence à haute pression à l’intérieur d’une porcherie. Ce dernier s’intoxique au monoxyde de carbone et décède.
Quelques jours plus tard, le 24 mars, près de Mont-Laurier, un travailleur reste coincé dans la pince d’une tête d’abattage multiple lorsqu’il effectuait l’entretien d’une abatteuse.
Le 31 mars, un homme de 57 ans effectue des travaux de déneigement sur le toit d’une résidence de Saint-Irénée. Il chute du toit, entraînant avec lui une importante quantité de neige, qui l’ensevelit. Il meurt asphyxié.
Très médiatisé, on se rappelle l’accident survenu le 10 avril dernier, dans lequel un laveur de vitres est décédé à Montréal, devant des locaux de l’Université du Québec à Montréal. Pour une raison encore inconnue, la grue installée sur la plateforme d’un camion s’est renversée, ce qui a provoqué la chute de 20 mètres de l’homme qui se trouvait dans le panier, et ainsi causé sa mort.
En pleine journée nationale du deuil, le 28 avril 2016, un émondeur de 25 ans coupait les branches d’un arbre sur un terrain résidentiel dans le secteur du Vieux-Longueuil. La branche qu’il coupait est tombée sur un fil électrique à haute tension de 14 000 volts. Lors du contact, l’émondeur a alors reçu une importante décharge électrique mortelle.
Trois-Rivières, le 30 avril 2016, un jeune homme a été écrasé par la partie mobile supérieure d’une presse qui effectuait un mouvement de descente alors qu’il faisait des travaux de maintenance sur celle-ci. Il a été retrouvé par des collègues, sans vie, sous une plaque de métal.
Le 4 mai 2016, dans un entrepôt, un homme des Îles-de-la-Madeleine déplaçait des paquets de bois sur une mezzanine. Une fois les travaux terminés, le travailleur a amorcé sa descente dans l’échelle. C’est à ce moment qu’il est tombé et qu’il s’est retrouvé sur un plancher de ciment. Il subit de graves blessures à la tête et succombe.
Deux jours plus tard, le 6 mai 2016, un homme effectuait des travaux sur le terrain d’une résidence privée, à Québec. Il fait une chute mortelle de trois mètres alors qu’il se trouve sur le plancher d’un échafaudage.
Douzième jour de mai, un travailleur d’Alma se trouvait sur un petit échafaudage, à environ 1,8 mètre en bordure d’une toiture. Il coupait du bardeau pour son collègue, qui l’installait sur le toit par la suite. Il a fait une chute vers l’arrière, s’est frappé la tête et est décédé des suites de ses blessures.
Cadillac, le 25 mai 2016, un travailleur soustraitant s’affaire à réparer les fuites d’huile sur un camion articulé. Il utilise une chargeuse sur roues munies de fourches. Le conducteur de chargeuse qui positionne les fourches à un certain endroit pour procéder au levage constate que les ancrages du tablier de la porte-fourche sont sur le point de sortir. L’ayant vu trop tard, les fourches sont sorties de leurs ancrages et sont tombées sur le réparateur.
Le 30 mai 2016, un homme effectuait du soudage à l’intérieur d’un camion-citerne, à Notre-Dame-du-Bon-Conseil. Une explosion est soudainement survenue et l’employé est mort sur le coup. Un autre travailleur a également été blessé.
Installé dans une nacelle, un homme nettoyait les vitres d’une résidence pour personnes âgées à La Prairie, le 6 juin dernier. Il s’est électrocuté en touchant la ligne de distribution d’Hydro-Québec de 25 000 volts.
Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, le 7 juin 2016, un travailleur forestier tente de déposer un outil dans un boîtier situé au centre d’une débusqueuse à câbles. Ignorant que le travailleur s’y trouvait, le conducteur de la débusqueuse l’a écrasé avec la machinerie.
Un homme de 58 ans tondait la pelouse d’un ancien terrain de golf, le 20 juin dernier, près de Sainte-Agathe-des-Monts. Il a fait une embardée avec son tracteur dans une pente et s’est cogné la tête sur une roche lors de sa chute. Il est décédé des suites de ses blessures.
Le 28 juin dernier, un contremaître de 64 ans effectuait son travail, lorsqu’une immense structure métallique pesant 850 kg est tombée sur lui. Il est resté coincé sous la structure et est décédé.
À L’Île-des-Soeurs, le 30 juin dernier, des travailleurs viennent de terminer le vernissage d’un plancher de bois, lorsque l’un d’entre eux utilise un article pour fumeur dans la pièce. Les vapeurs toxiques émanant du produit hautement inflammable de fini à plancher ont alors causé une explosion, tuant un des travailleurs de 20 ans et blessant deux de ses collègues.
Le 3 juillet 2016, à Princeville, un travailleur déchargeait une remorque remplie de porcs. Il a été soudainement écrasé par le plancher mobile de la remorque, qui s’est subitement mis à remonter.
Montréal, le 5 juillet 2016, des travailleurs procédaient à un transbordement de liquide dans un garage. Cette opération de transvidage de réservoir d’essence avec une pompe électrique a causé une explosion, tuant un travailleur et en blessant deux autres.
Des situations évitables
« Ce qui nous choque chaque fois, c’est que la majorité, voire la totalité de ces accidents, auraient pu être évités », déplore Pierre Privé. « La planification des travaux est un élément clé en matière de sécurité. Quand l’emploi est déjà commencé, à ce moment-là, ça laisse place à l’improvisation et c’est comme ça que les accidents se produisent », explique le coordonnateur aux enquêtes. Légalement, la responsabilité incombe à l’employeur de protéger ses employés et de s’assurer qu’ils soient en sécurité. Toutefois, les travailleurs doivent également respecter les règles de sécurité imposées. « Souvent, les travailleurs savent très bien lorsqu’ils s’exposent à un danger… », conclut Pierre Privé.
Déroulement des enquêtes
Un inspecteur de la CNESST est intervenu dans chacun des cas mentionnés précédemment. En fait, un inspecteur intervient chaque fois qu’un accident mortel ou grave ayant causé des lésions sévères ou des dommages matériels importants survient au Québec. Les enquêtes sont effectuées pour déterminer les causes exactes de l’accident et ainsi éviter qu’un accident similaire ne se répète dans le même milieu de travail ou dans un autre milieu. Les inspecteurs travaillent toujours à deux et le bon déroulement de l’enquête est assuré par un gestionnaire. Chacun des inspecteurs impliqués dans une enquête reçoit une formation particulière sur le processus d’enquête basée sur une méthode reconnue. Ils travaillent également en équipe avec le coroner, le médecin légiste, la Sécurité publique, etc. La Commission s’est donné un objectif de six mois pour terminer et rendre les enquêtes publiques.
Lorsqu’un accident se produit, les inspecteurs sont immédiatement dépêchés sur les lieux. Ceux-ci doivent commencer la collecte de données observables et mesurables le plus rapidement possible. Ils rencontrent ainsi les témoins qui sont en état de répondre à leurs questions, ou bien prennent leurs coordonnées, s’ils sont en état de choc. Dans ce contexte, ils recueillent les données importantes et revoient les témoins plus tard. Le maître d’oeuvre et l’employeur sont ensuite rencontrés pour obtenir d’eux les documents utiles tels que le programme de prévention et les comptes rendus des comités. Pour réaliser l’enquête, un arbre des faits doit d’abord être construit. Il s’agit d’une méthode d’analyse d’un événement qui consiste à décortiquer les faits dans un ordre chronologique et logique. On commence par le fait « ultime », qui est le décès ou la blessure d’une personne, et ensuite, on remonte le fil des événements en se posant différentes questions pour valider les renseignements. Tous les faits validés ayant contribué à l’accident ont leur place dans l’arbre des faits. Autrement dit, c’est une façon de reconstituer l’événement en vue de découvrir les véritables causes de l’accident. La rédaction du rapport suivra et une fois celle-ci terminée, le rapport sera soumis à un comité de lecture. Il sera ensuite revu par les services juridiques, qui créeront une version dépersonnalisée, accessible par le grand public.
Un moyen de prévention efficace
Les inspecteurs font une présentation de leur rapport devant les représentants syndicaux et patronaux. Ils le font devant la famille également, si elle le désire. Ils y expliquent leurs conclusions et leurs demandes de correction, et ils offrent du soutien et de l’accompagnement à l’entreprise dans sa démarche pour éliminer le danger. Les rapports sont également transmis à différents organismes et associations, parfois à l’extérieur du Québec, au Canada et aux États-Unis. Il faut s’assurer que les causes décelées par les rapports d’enquête soient connues, en vue d’éviter la répétition d’un accident similaire.