Lors de travaux de signalisation sur une autoroute, le travailleur qui prend place sur le marchepied arrière du camion tombe…
Le 23 novembre 2015, la Cour du Québec a imposé une amende substantielle de 55 000 $ à une entreprise spécialisée dans la fabrication et l’installation de panneaux de signalisation. Cette peine a été imposée à la suite d’une reconnaissance de culpabilité de l’entreprise quant à une infraction commise en vertu de l’article 237 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail.
Ce qui est particulièrement notable est que le montant de la sentence infligée par la juge dans ce dossier s’approche significativement du montant maximal prévu par la Loi dans le cas d’une première offense. C’est dans un jugement fort élaboré que la juge explique ce qui justifie l’imposition d’une telle sentence qui va même au-delà de ce que la poursuite réclamait.
En suivant scrupuleusement les préceptes reconnus en matière de « sentencing1 », la juge oriente sa réflexion sur l’objet même de la Loi qui vise l’élimination à la source des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs. Elle rappelle que la règle voulant qu’une sentence maximale ne soit réservée qu’au pire des cas a été mise de côté par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. L.M. rendu en 20082.
Pour imposer une peine qui soit proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité de l’entreprise contrevenante, la juge a donc procédé à une analyse particularisée du contexte dans lequel l’infraction a été commise en tenant compte des facteurs aggravants ainsi que des facteurs atténuants propres à cette affaire.
Le 28 août 2013, un jeune employé de 19 ans de l’entreprise est décédé, écrasé sous les roues d’un camion effectuant le déplacement de balises situées en bordure d’une autoroute. Pour ce faire, deux travailleurs se positionnent sur les marchepieds arrière d’un camion. Alors que celui-ci recule, les travailleurs doivent descendre du camion à tour de rôle pour déplacer les balises. C’est lors d’une de ces manoeuvres qu’un travailleur a été retrouvé étendu derrière la roue gauche du camion.
Dans cette affaire, la matérialisation d’un danger en un accident mortel constitue un facteur aggravant d’importance. La tentative par l’entreprise d’imputer en tout ou en partie la responsabilité de l’accident au travailleur lui-même est rejetée d’emblée par la juge, qui rappelle qu’une faute commise par le travailleur ne peut servir d’échappatoire à l’employeur compte tenu des obligations que la Loi lui impose.
En l’occurrence, la dangerosité évidente d’une telle méthode de travail rendait prévisible la survenance d’un événement aussi malheureux. Pour la juge, il est surprenant qu’on ait pu croire au caractère sécuritaire de la méthode mise en place par l’entreprise et cela constitue donc un premier facteur aggravant.
En plaidant sa cause, l’entreprise a tenté de démontrer qu’elle était un fer de lance dans cette industrie et que ses méthodes de travail étaient copiées par ses concurrents. Au contraire, la juge considère que la notoriété de l’entreprise aurait dû la motiver à innover et à rechercher des méthodes plus sécuritaires. Son influence milite plutôt en faveur de la dissuasion générale.
En plaidant coupable à l’infraction reprochée, l’entreprise a évité un débat judiciaire, ce qui permet à la juge de reconnaître ce geste comme facteur atténuant. Quoiqu’elle n’ait pas fourni beaucoup de détails sur la situation économique de l’entreprise, la juge tient compte du fait que celle-ci a connu certaines difficultés à la suite de ces évènements et qu’elle n’est plus en activité depuis deux ans.
Considérant que dans l’intérêt de la santé et sécurité des travailleurs la peine se devait d’être dissuasive, le tribunal a tenu compte du fait que la preuve justifiait l’imposition d’une peine exemplaire.
- Étude des décisions rendues en matière de sentences criminelles.
- R. c. L.M. 2008 CSC 31.
Source : Prévention au travail